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Céline Denjean - L'interview polar

Céline Denjean a grandi au milieu des livres. Après avoir travaillé dans le domaine du social, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture. Elle est l’autrice de La Fille de Kali (2016), Le Cheptel (2018), Double amnésie (2019), Le Cercle des mensonges (2021). En 2018, Le Cheptel a reçu le Prix de l’Embouchure, le Prix Polar francophone du festival de Cognac et le Prix Mordus de thrillers. Le Cercle des mensonges a reçu en 2021 le prix L’Alsace-DNA au Festival Sans Nom de Mulhouse.

Pourquoi avoir choisi le polar, qu’aimez-vous dans ce genre ?

Le polar propose une intrigue riche en émotions (enquête, suspense, danger, tension…) au travers de laquelle le lecteur va être confronté à des questions transversales morales, sociétales, psychologiques, psycho-sociales...qui font écho à des réalités.
Et c’est précisément ce que je trouve intéressant dans le polar : il ouvre des fenêtres sur le monde, et plus précisément sur l’Humain dans sa part sombre, tordue, malade, effrayante… mais bien réelle ! Je n’ai pas vraiment « choisi » le polar ! Il s’est imposé, comme une évidence.

Quelle est la genèse de Matrices ?

Pour commencer à me projeter dans l’écriture, j’ai besoin d’un sujet, d’un thème qui suscite chez moi un intérêt,
un malaise, des questions… bref, un sujet qui fait écho en moi.
Ensuite, il faut que cette idée fasse naître un début d’intrigue dans mon imaginaire : en réalité, certaines idées restent à l’état d’ébauches listées sur un papier, car je n’arrive pas à imaginer par quel bout je peux les prendre et comment je pourrais les exploiter ! Lorsque je tiens ce début d’intrigue, que je sais à peu près l’histoire que je veux raconter (ex : c’est l’histoire d’un adolescent qui va commettre un meurtre de masse) se pose alors la question de savoir comment je vais raconter cette histoire, quels vont être les arcs narratifs par lesquels je vais faire entrer le lecteur dans l’intrigue de manière à faire monter la tension, à définir des enjeux, à capter l’intérêt du lecteur. Dès que mes arcs narratifs sont définis, je peux entrer dans l’écriture.
Matrices a répondu à ce processus créatif précis. J’avais entendu parler des « fermes à bébés » existant dans certains pays africains (dont le Nigéria) : ces fermes répondaient au désir de parentalité chez des personnes ne pouvant avoir d’enfants. Parallèlement, le sujet de la GPA, qui répond à ce même désir de parentalité, m’interpellait aussi. Et j’ai de suite imaginé une fusion de ces deux sujets avec l’idée d’un trafic de mères porteuses en France, où la GPA est interdite. Mais je n’en dis pas plus !

Dans votre processus d’écriture, vous portez une attention particulière à… ?

Je porte une attention très particulière à deux choses :
– Premièrement, la psychologie des personnages, qui constitue selon moi la charpente émotionnelle du roman : ce sont les personnages qui font entrer le lecteur dans le livre, qui le fascinent, ou le glacent, ou lui font ressentir de l’empathie…

– Deuxièmement, la construction de l’intrigue, qui doit à la fois donner du rythme au roman et répondre à une logique implacable. Par exemple, je détesterais qu’un lapin sorte du chapeau pour clôturer une enquête !
Je suis donc extrêmement rigoureuse (c’est à la limite du maladif chez moi !) sur la question de mon architecture fictionnelle. Tout doit se tenir de bout en bout.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?


La réalité du Mal est ma première source d’inspiration ! Les hommes sont capables de décliner et mettre en oeuvre l’horreur absolue : cela fait naître chez moi un abîme d’interrogations et une recherche de sens.
Le trafic humain est un thème récurrent dans mes livres : il comporte hélas des dizaines de facettes, et je m’intéresse plus précisément à l’une d’elle dans chacun des ouvrages qui approche cette question.
Il arrive parfois que la fiction précède une réalité. Dans Le cercle des mensonges, par exemple, j’aborde le trafic humain relatif à des cobayes humains de l’industrie pharmaceutique sur fond de complot politico-financier, et mon intrigue s’achève sur une pandémie mondiale. Trois mois après la fin de rédaction de mon livre arrivait le Covid…
Pour finir, je dirais que le lecteur de polars a besoin de réalisme : il ne peut plonger dans une intrigue que si elle lui semble plausible. Dans Le cheptel, par exemple, il fallait absolument que le lecteur se dise : « Après tout, pourquoi pas ! On a bien vu telle ou telle atrocité par le passé, alors pourquoi pas un “cheptel” humain ! »

Une habitude d’écriture inavouable ?

Ce qui est inavouable, par définition, ne saurait être avoué ! Permettez donc que je conserve ma part secrète et que je place le lecteur en position d’imaginer ce que je ne saurais moi-même lui confesser… Ce serait amusant pour moi, d’ailleurs, d’apprendre quelle habitude inavouable le lecteur pourrait me prêter !