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Nathalie Achard - L'interview polar

Nathalie Achard est médiatrice et formatrice à la non-violence. Elle est intervenue pendant de nombreuses années en milieu carcéral, notamment auprès d’hommes condamnés pour violences sexistes et pour association de malfaiteurs terroriste. Elle signe ici son premier roman.

Pourquoi avoir choisi le polar, qu’aimez-vous dans ce genre ?

Je vais répondre à cette question par une question.
Pourquoi établir des genres qui définissent et séparent ? Je suis plus à l’aise avec la fluidité et c’est pourquoi je préfère parler de récit littéraire, quelle que soit la prédominance du thème. D’autant plus que ces systèmes de genres, de typologies, d’étiquetages provoquent inévitablement des phénomènes de hiérarchisation et de discrimination. Mais ce questionnement, resté sans réponse, ne va pas m’empêcher de répondre au vôtre !
Dans mes autres activités, sur le terrain, en prison, en médiation sociale, lors de mes engagements humanitaires, et même dans des collectifs que les apparences flatteuses n’exemptent pas de conflits sanglants, je suis confrontée au quotidien aux démons qui hantent le coeur des humains. Et ces démons, qui viennent en plus dialoguer avec les miens, je suis amenée en permanence à les regarder dans les yeux, pour les débusquer, les comprendre, les montrer à celles et ceux qui ne les voient pas. Car il est primordial de les transformer afin de ne pas se faire happer par leur gueules béantes qui ne promettent que la souffrance. Et pour moi, le récit littéraire, par la grande diversité des chemins possibles à faire parcourir par la lectrice ou le lecteur à la rencontre de cet indicible, est un média puissant de compréhension voire d’épiphanie. Les récits littéraires ont été pour moi aussi édifiants que certains essais, et même parfois bien plus, car ils sont allés me chercher, avec une précision formidable, à des endroits de pure émotion indispensable à toute transformation. Et exister, c’est se transformer en permanence.

 

Quelle est la genèse de Week-end entre amis ?

Je suis une observatrice insatiable de l’être humain, moi comprise. Ce roman est l’enfant de trois observations majeures. La première, c’est le paradoxe humain qui consiste à se contorsionner en permanence pour tenter de rendre compatible un besoin vital d’être avec les autres et une difficulté insurmontable à les supporter.
La deuxième, c’est notre capacité d’adaptation au pire pour éviter le changement, même s’il ne peut être que meilleur que la situation douloureuse dans laquelle nous nous enferrons. Et la troisième, c’est notre capacité fabuleuse à déployer des récits pour soi et pour les autres afin de justifier l’injustifiable. Je pense l’avoir écrit comme dans un état second, vivant pleinement dans ce paradoxe, cultivant cette adaptation et nourrissant un récit incantatoire sans m’en rendre compte pour moi-même. Et c’est sans doute le moment de partager un petit secret : dans chacun des personnages, il y a un petit quelque chose de moi. Je n’en dirai pas plus, bien évidemment.

 

Pourquoi avoir choisi un huis clos ?

Un reste inconscient du classicisme et des unités de temps, de lieu et d’action du théâtre ? Et lorsque j’écris cela, je me vois, jeune lectrice, engloutissant toutes les pièces de Racine et toutes les tragédies grecques de Sophocle, Eschyle, Euripide qui furent mes premières grandes émotions littéraires. Il faudra que j’en parle avec ma psy… J’ai en tout cas le sentiment que la tragédie de l’être humain en proie à ses démons et à ceux de ses proches a une résonance plus forte dans un huis clos.
En réduisant l’espace, en congédiant les sollicitations extérieures, en fermant les portes, cela force à la rencontre. Le face-à-face devient inéluctable et la confrontation, une question de survie. En résumé, le huis clos évite l’évitement.

 

Dans votre processus d’écriture, vous portez une attention particulière à… ?

En écrivant, je porte une attention particulière à ce que j’aime lorsque je lis : les personnages et le rythme.
Les personnages : si vous avez eu le courage de lire les réponses aux précédentes questions, vous vous en doutez, l’être humain me fascine. Capable du pire comme du meilleur, Janus d’ombre et de lumière, c’est un mystère infini, un continent sans limite à explorer. J’aime découvrir, imaginer, suivre les destinées de chacune et chacun et les écrire pour les dévoiler. Comme si je tentais de reconstituer le vaste puzzle de nos humanités éparpillées. Pour comprendre nos douleurs, nos peurs, nos joies, nos blessures qui, malgré la diversité de leurs expressions, nous restent communes. Et qui sait découvrir un lieu partagé de paix. Mais pour parvenir à cet endroit, que d’ombres et de tragédies à traverser… Donc la trajectoire de mes personnages, les événements qui les ont forgés, leur façon spécifique de réagir et de voir le monde sont au centre de mon écriture.
Le rythme : j’adore être incapable de lâcher un livre et vivre une mini déprime lorsque je l’ai terminé, et le rythme, pour moi, est un ingrédient essentiel pour obtenir ce résultat. Une question d’équilibrage subtil entre les renversements de situations, les temps suspendus qui tiennent en haleine et les moments de narration longs qui permettent de reprendre son souffle.

 

Une habitude d’écriture inavouable ?

Inavouable, c’est que ce que l’on ne peut ni ne veut reconnaître. Secret, honteux, obscur. Un vice. Jean-Bertrand Pontalis disant d’ailleurs : « Écrire est un vice impuni. Pourquoi quitter l’heureuse place du lecteur pour chercher à s’imposer comme auteur ? ». Après avoir tenté d’éviter votre question en étalant une fine couche de pédanterie, je vais tenter de jouer le jeu. Quand je suis sur un texte, j’ai en tâche de fond dans ma tête deux ou trois autres textes. Mon cahier à projet ressemble à un hérisson arc-en-ciel (référence aux mini Post-it de toutes les couleurs pour marquer les pages). Mais je pense que ce qui est encore plus inavouable, c’est que je n’écris pas, j’écoute. Ce sont les personnages qui écrivent l’histoire. Une fois que je les ai mis au monde, je dialogue avec eux et ils ont des idées très arrêtées sur ce qui va leur arriver. Et il est rare que j’ai le dernier mot. FIN.